DEPLACEMENT ET ENRACINEMENT
A gauche, l’intérieur d’un wagon de train quelque part en Afrique. La vitre de la fenêtre est baissée pour faire entrer un peu d’air. Plusieurs passagers, en bas de l’image, sont assoupis à cause de la température élevée, du bruit du train, du temps de trajet. Un jeune homme, bras tendu, signale quelque chose aperçu par la fenêtre et qu’il désigne aux autres passagers. Quoi ? Nous ne saurons pas.
L’image photographique est ainsi, elle suggère le hors-champ. Elle ne peut le montrer car la totalité de l’image restituée est enfermée dans un cadre, forcément restreint. L’image photographique isole et fige : une portion d’espace, de temps, un décor, des personnages.
La technique utilisée ici, une double image, permet de sortir du cadre trop fermé de l’image unique.
La deuxième image, à droite, présente un paysage de savane africaine avec, au premier plan, un arbre majestueux, un magnifique et centenaire baobab.
Le contraste entre les deux images est remarquable. D’un côté la pénombre d’un wagon de train, de l’autre la pleine lumière de l’Afrique. A gauche, le mouvement, la vitesse. A droite, l’immobilité. D’un côté le déplacement des hommes, de l’autre la stabilité, l’enracinement de l’arbre. La métaphore est ici aisée entre le besoin de déplacement, de quitter son pays et la perte de ses racines. Comme si le jeune homme montrait une dernière fois l’emblème de sa terre et que déjà les adultes, dans leurs soucis, songeaient à l’avenir incertain.
Pour celui qui regarde ce diptyque, il est évident que le jeune homme dans le train, qui tend le bras vers la droite, nous montre le paysage et l’arbre. L’image de droite est alors pour le spectateur celle qui est vue par la fenêtre du train. Pourtant les deux images ont peut-être étaient réalisées dans des endroits éloignés, à plusieurs semaines d’intervalles. Peu importe. La juxtaposition des deux clichés influence notre cerveau qui produit une association d’images et d’idées pour enrichir la scène, produire de nouveaux sens. Le diptyque qui permet un aller-retour, un voyage entre les images, offre un enrichissement supplémentaire que ne produirait pas ces deux images vues séparément.
Jackie Guindet